Bienvenue sur l’espace partenaires, site ressource pour les acteurs du patrimoine en Bourgogne-Franche-Comté

Perspective du projet muséal, avec au centre la prison panoptique © Atelier Novembre
Caroline Darroux et Agathe Mathiaut-Legros reviennent sur le projet du futur musée du Panoptique à Autun et nous exposent comment la prison s'est trouvée, grâce aux recherches historiques et ethnologiques dont elle a fait l'objet, au cœur d'un processus innovant de patrimonialisation et d'échanges citoyens.

Histoire du bâtiment et projet du musée « Le Panoptique » (Agathe Mathiaut-Legros)

En 2002, la ville d’Autun rachetait l’ancienne prison circulaire nichée à deux pas de la cathédrale et qui faisait fonction depuis presque 50 ans de garde-meuble pour une famille de particuliers. Étonnamment, ce bâtiment pour le moins original et propre à susciter la curiosité semblait s’être rendu invisible, fondu dans le quotidien des habitants et caché derrière la façade banale d’un établissement administratif. Cependant les bâtiments carcéraux commençaient à retenir l’attention des services patrimoniaux, et c’est largement conseillée par le service des monuments historiques de la Direction régionale des Affaires culturelles que la Ville conçut alors le projet de transformer cette prison en musée et par là-même, d’assurer sa sauvegarde.

L’histoire de cette prison commence en 1847, quand André Berthier, architecte œuvrant pour le département de Saône-et-Loire, en dessine les plans afin de remplacer les cachots de la prison du tribunal, dont l’insalubrité et l’inadaptation font l’objet de critiques incessantes. Les cas de prisons entièrement neuves sont rares et l’architecte s’inspira des modèles de plans fournis par le ministère de la Justice. Le choix d’un plan circulaire, est assez exceptionnel mais bien adapté à cette maison d’arrêt de petite taille, imbriquée dans un tissu urbain déjà dense. Le principe en est simple : les cellules s’organisent sur tout le pourtour d’une tour trapue, au centre de laquelle se tient le point de surveillance. Cette forme correspond de manière fidèle au modèle panoptique conçu par Jérémy Bentham à la fin du XVIIIe siècle : la forme du bâtiment induit par lui-même une visibilité totale et par là-même, une surveillance constante et presque intégrée des détenus.

Durant une centaine d’années, du milieu du XIXe siècle au milieu du XXe siècle, cette prison va jouer son office, au gré des réglementations et orientations politiques successives. Braconniers, vagabonds, voleur à la sauvette ou « faiseuses d’anges » forment l’essentiel de la population de cette prison, qui peut cependant aussi devenir un lieu d’enfermement politique. C’est notamment le cas après la commune du Creusot en 1871, puis lors de la seconde guerre mondiale.

Les recherches menées par la MPOB ainsi que d’autres, conduites lors de l’établissement du programme muséographique et partagées lors de journées d’études en 2021, ont profondément infléchi le projet muséographique initial. Renonçant à l’idée d’y présenter des collections patrimoniales, la ville a fait le choix de limiter les interventions sur ce bâtiment et de le dédier à la découverte de l’architecture et de l’histoire du site. Les nécessaires aménagements, cages d’escalier et d’ascenseur, et surtout la surélévation par un étage sommital, ont été conçus pour rester invisibles depuis la rotonde centrale, conservée dans son dernier état d’usage et accueillant des éléments muséographiques peu invasifs. Quatre cellules accueilleront des contenus muséographiques conçus à la fois par la MPOB et le musée, mêlant les faits historiques saillants aux histoires des détenus telles que nous les laissent percevoir les archives. Deux cellules spécifiques, transformées en lieu de mémoire, rappelleront l’usage sinistre de ce lieu durant la seconde guerre mondiale et établiront pour la première fois la liste des victimes passées dans ses murs.

La multiplicité des regards, les échos encore puissants que cette prison fait résonner dans nos réflexions actuelles, ont suscité un changement d’approche radical, passant d’un regard patrimonial « classique » à la conception d’un lieu dont l’histoire nourrit une recherche vivante et multiple.

 

Agathe Mathiaut-Legros, conservatrice en chef du patrimoine, est directrice des musées et du patrimoine de la ville d’Autun, en charge du projet muséographique du musée « Le Panoptique d’Autun – musée Rolin ».

Recherche et expérimentation collective : Le projet « Déprisonner » (Caroline Darroux)

Sur le territoire de l’Autunois-Morvan, la Maison du Patrimoine oral de Bourgogne met en œuvre des démarches de recherche et d’actions culturelles avec des habitants et des habitantes, dans le cadre de projets territoriaux en lien avec les collectivités. La MPOB est labellisée ethnopôle du ministère de la culture depuis 2019 pour son projet scientifique de « Fabrique sociale orale », une méthodologie par laquelle nous nous donnons pour mission de créer du commun dans les territoires ruraux de Bourgogne, en nous appuyant sur des pratiques culturelles ordinaires et les savoirs de chacun. L’enjeu est la prise en compte dans la définition de ce qui nous rassemble, des cultures immatérielles les plus discrètes et des groupes sociaux minorés. 

Après l’annonce de la transformation de l’ancienne prison d’Autun en musée, le projet et le collectif « Déprisonner » sont nés. En coopération avec l’association La Bricole, le média libre ODIL, des anciennes et anciens détenus, des historiens, des militants, des curieux et des curieuses, et des représentants de la section locale des enfants de personnes déportées, la MPOB a proposé durant 2 années (2021-2022) toute une série d’événements réguliers, d’ateliers tout public de lecture d’archives, d’interventions scolaires et un festival « Paroles Libres », en partenariat avec la Ville d’Autun et son service du patrimoine et des musées. Un post-doctorat a pu être mis en place à cette occasion, en partenariat avec le LIR3S de l’Université de bourgogne.

Il s’agissait de proposer à l’institution patrimoniale une démarche citoyenne pouvant être l’occasion de se ressaisir pleinement des possibilités de transformation sociale de ce moment de patrimonialisation : après avoir vécu les confinements, beaucoup de questionnements très actuels résonnaient avec ceux que nous posaient cette prison ronde. Déprisonner a été conçu comme un travail d’histoire publique locale associé à une recherche en ethnologie centrée depuis les regards populaires emprisonnés, concernant la période de fonctionnement de la maison d’arrêt, puis lieu de dépôt, puis prison sous l’Occupation et le régime de Vichy (entre 1857 et 1944) mais s’inspirant de vécus contemporains de l’enfermement. L’objectif était d’accéder aux regards des vies emprisonnées avant que les traces qu’elles ont laissées ne disparaissent. Des bribes éparses dans les archives (AD71 et 21) et sur les murs et les portes, nous ont permis de remonter les histoires de vie des personnes détenues, en suivant les conseils d’Arlette Farge, avec qui nous avons entamé une correspondance. Des artistes nous ont aidés à créer un théâtre d’ombres pour raconter ces vies et un court-métrage, où un ancien détenu témoigne de son incarcération durant l’Occupation. Des interventions conjointes avec le service animation du musée, au collège et au lycée, ont donné lieu à plusieurs projets d’éducation artistique et culturelle autour de ces récits de vie. Ce travail s’est poursuivi jusqu’à ce jour, dans le cadre d’un groupe de recherche participative sur la déportation dans la région autunoise. Une vingtaine de personnes se sont réunis pendant un an et demi pour retrouver toutes celles et ceux qui furent arrêtés pendant la Seconde Guerre mondiale et déportés depuis la prison d’Autun. Nous avons identifié cent vingt dossiers à traiter et analyser. Ces travaux alimenteront la muséographie du futur musée. 

Ce travail a été co-financé par le ministère de la culture, le ministère de la recherche, la Direction régionale des Affaires culturelles de Bourgogne Franche-Comté, la Région BFC, le Département de Saône-et-Loire, la Ville d’Autun et le village d’Anost.

 

Caroline Darroux est directrice de la MPOB et anthropologue associée au LIR3S (Université de Dijon).

Pour plus d’information sur l’architecture et l’histoire de la prison :  

http://journals.openedition.org/insitu/33830 

Pour en savoir plus sur le projet « Déprisonner » : www.deprisonner.org

Haut de page